Il n'y a pas d'esquisses ni de gammes de couleurs
prédéterminées quand je commence à peindre.
Cependant ce n'est jamais rien. Il y a la présence des sujets
que je porte. Je m'efforce de ne pas les enfermer dans une image.
« Dans » le sujet, chaque toile est un recommencement.
Je ne vois pas encore le tableau. Et pendant la peinture, je suspends
le plus possible sa résolution. Laisser la toile se faire,
ou plutôt comment la faire sans imposer une volonté
extérieure. Rester ouvert à ce qui arrive pour le
saisir.
« La main peut saisir ce que la pensée
n'a pas encore formé. » La difficulté est de
maintenir la tension pendant toute la durée du travail pour
que l'émotion passe le plus directement de la main à
la toile, cour-circuitant l'intellect. Ainsi le tableau apparaît
tout entier. Les reprises partielles sont rarement possibles. Elles
provoquent la rupture de cette tension, et amènent presque
inévitablement à la repeinte complète de la
toile.
Dans l'atelier les dernières toiles sont posées
contre les murs, toujours visibles. Avoir le temps de regarder un
tableau après sa réalisation est essentiel pour moi.
Une toile n'est vraiment finie qu'une fois passé par ce temps
de regard, qui peut être plusieurs jours ou plusieurs mois.
Si la toile ne résiste pas au regard pendant ce temps, elle
est reprise et tout recommence. Même quand certaines parties
restent, elle devient un autre tableau.
L'aisance dans un petit ou un grand format vient
de la connaissance précise de l'espace à occuper.
Les problèmes restent les mêmes. Les grands formats
sont plus « difficiles » à réaliser seulement
parce que la durée de la tension à maintenir est plus
longue. Inversement les petits formats sont difficiles sans tomber
dans la surcharge.
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Etapes |
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La réalisation d'un tableau comporte des étapes
dont la traversée est plus ou moins aisée. La préparation
des fonds est insouciante, peut-être parce qu'ils peuvent
être complètement recouverts. Au départ du
tableau la joie de peindre est physique, tactile.
Arrive le moment où la séduction de la matière
et des effets obtenus sont si grands qu'ils provoquent toujours
l'envie d'en rester là. Et quelquefois, on décide
de se laisser séduire, pour le plaisir. Mais cette séduction
engendre aussi la peur de perdre le peu obtenu, quand il faut
aller au-delà de ce qui est déjà reconnaissable.
A ce moment là, le plus dur est de continuer sans peur;
il n'y a rien à perdre. Autrement, vraiment tout est perdu.
Terminer une toile trop tôt, c'est la ramener vers ce
qui est connu. A l'extrême, c'est une formule que chacun
peut appliquer, une recette qui rend une chose prévisible,
identifiable. Chaque peintre a ses formules et résolutions
possibles. La tentation de les utiliser est aussi grande que la
peur.
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La
souffrance du corps |
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Le travail de ces quatre dernières années traite
en grande partie de la souffrance du corps, de la perte, du déchirement
que cela engendre. Le miroir est ce double qui donne une image
de l'état des choses. La peinture est ainsi un miroir,
un constat.
Je me nourris de peinture, de toutes les peintures. La nécessité
du moment dirige mon regard, mes recherches. Des peintures côtoyées,
familières depuis longtemps, mais restées extérieures
subitement touchent. Et c'est par une reconnaissance intime que
finalement je les découvre. En ce moment, celles qui traitent
de la Passion, et plus particulièrement la crucifixion,
la descente de croix me nourrissent.
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La
densité du temps |
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Pour moi le lien et l'échange sont étroits entre
la gravure et la peinture. Comme on peut tout faire en gravure,
le grand piège est de vouloir faire de la peinture avec.
Chaque technique a ses exigences. La technique devient transparente
quand elle est travaillée dans sa logique. Elle ne gêne
plus, ni la main ni le regard.
J'ai découvert la puissance émotionnelle du noir
par la gravure. Le noir en aplat pur, que je n'utilisais pas en
peinture avant. Le travail du noir et du blanc en gravure et de
la couleur en peinture, des mêmes thèmes sont complémentaires
et me révèlent la spécificité et la
richesse de chaque.
Une chose bien particulière à la gravure qui ne
cesse de m'étonner est l'immensité de l'espace possible
avec des formats de miniatures. Est-ce la densité du temps
passé sur la plaque, avec l'action de l'acide qui font
que l'espace se creuse de manière si prodigieuse?
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